mardi 28 septembre 2010

Quelques notes perses sur l'Azerbaïdjan...

Le livre des vagabonds, Séances d’un beau parleur impénitent de Badî al-Zamâne al-Hamadhânî, vivant vers 990... 380 de l’hégire.

Séance huitième
L’Azerbaydjan
Où l’on s’aperçoit que le beau langage suit l’homme en tout lieu

Dame Fortune avait prélevé sur sa traîne quelques pièces d’étoffes dont elle me fit une ceinture, commença ‘Isä, fils de Hichâm, mais on me soupçonna d’avoir détourné de l’or à mon profit ou d’avoir découvert un magot. Fuis au plus vite, me pressa la nuit, bonne conseillère devant les menaces qui me prenaient pour cible. Sautant en selle, j’empruntai pour m’évader des routes que n’avaient maltraitées les pas du voyageur ; même les oiseaux s’en détournaient. Je parcourus ainsi des lieues et des lieues jusqu’à laisser derrière moi les contrées où j’avais de bonnes raisons de trembler, jusqu’à me débarrasser enfin de la peur, jusqu’à me retrouver en une place où la sécurité m’était assurée et dont j’appréciai de ce fait la fraîcheur. J’étais en Azeraydjan, après avoir amaigri mes montures successives, qui n’en pouvaient mais à force d’avaler de toujours nouvelles étapes. Lorsque j’y parvins,

Nous décidâmes une halte
Qui ne dépasserait pas trois jours,
Mais la vie en ce lieu fut si pleine de charme
Qu’un mois plus tard nous séjournions au même endroit.

Je me tenais un jour sur l’un de leurs marchés, quand je vis arriver un homme, baluchon accroché à l’épaule, bâton dans une main, la tête couverte d’un bonnet en forme de jarre et le corps enveloppé dans une serviette. Il prit ainsi la parole :
- Ô Dieu, notre Dieu, Toi qui crées les choses et les restaures dans leur état premier après leur anéantissement, Toi qui donnes la vie aux ossements même et les fais mourir, Toi qui as fabriqué le luminaire du jour et le fais tourner, Toi qui a provoqué le jaillissement de l’aurore aux mille éclats et l’as illuminée, Toi qui envoies les bienfaits nous baignant de toutes parts, qui soutiens la voûte céleste et l’empêche de s’effondrer sur nous, Toi qui as créé l’homme selon les deux genres, plaçant au-dessus de lui le soleil pour lampadaire, le firmament en guise de toit et par-dessus la terre, sa couche, Toi qui as fait de la nuit un temps de quiétude et du jour le moment où s’enchaînent les initiatives destinées à procurer à chacun sa pitance quotidienne, Toi qui as disposé les nuages comme autant de masses grises et la foudre comme un châtiment, Toi qui n’ignores rien de ce que cache le plafond des étoiles et de ce qui s’enfuit sous la terre que nous foulons dans les trajets qu’elle enserre entre ses limites, je Te demande de bénir le maître des Envoyés de Dieu, j’ai nommé Mouhammad et ces êtres sans tâches que sont les membres de sa famille. Je Te supplie de m’assister pendant ce séjour en terre étrangère : puissé-je tenir fermement les rênes de ma vie et être secouru dans ma condition de pauvreté afin que je quitte son ombre. Je Te prie de faciliter, par la méditation de celui qui n’obéit qu’à sa Foi et qui donc fait le bien, de celui qui n’écoute que la pureté de son coeur, qui, inébranlable dans sa croyance, vit heureux, de celui qui, loin de devenir aveugle, garde sa vue intacte en face de la vérité évidente, le don qu’on me fera d’une monture de voyage capable d’aller d’étape en étape sur cette route, et de provisions de bouches suffisantes à nous nourrir, moi et mon compagnon que voilà.
Je me fis à part moi la réflexion que la langue de cet homme avit plus d’éloquence que celle d’Abou’l-Fath. Je me retournerai vers l’orateur pour en avoir le coeur net. Et voilà que c’était Abou’l-Fath en personne . Je m’écriai :
-Ô Abou’l-Fath, ta ruse a voyagé au point de m’investir ces confins ! Ta chasse a mené tes pas jusqu’à cette grande tribu !
Sa réponse tomba, sous la forme de vers :

Je suis le voyageur impénitent
Qui va de pays en pays,
L’homme qui transperce l’horizon.

Je suis la toupie, et je tourne
Au long du temps qui suit son cours ;
Je suis le grand traceur de routes.

Ne me blâme pas, tolère ma ruse
puisses-tu toujours aller
dans la voie droite
et admire l’art oratoire.

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